OUEST FRANCE : « Mon Prix Renaudot est une seconde naissance »
FNAC - CAEN

Scholastique Mukasonga lors de la dédicace de son livre Notre-Dame du Nil (Gallimard) samedi à la Fnac de Caen.

Après avoir connu l’horreur au Rwanda (déportations, tueries, massacre de 27 des siens), Scholastique Mukasonga, 56 ans, a trouvé en France une douce terre d’exil. Caen et le Renaudot l’ont sauvée.

Lorsque mon éditeur Antoine Gallimard m’a appelée ce 7 novembre (jour du résultat du Renaudot), je venais d’aller chercher mon pain. Un peu maso, j’allais rejoindre ma voiture pour écouter qui avait gagné le prix. Je ne pouvais pas me douter que c’était moi la lauréate, puisque j’étais sortie de la liste depuis le 11 septembre (1). J’avais mal encaissé cette éviction, tellement j’avais mis tout mon coeur dans ce livre. Je le vivais presque comme une discrimination.

Le pain, je l’ai piétiné de joie. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Antoine Gallimard m’a dit : « Félicitations, vous avez le Renaudot. Prenez le premier train pour Paris, on vous attend ». J’ai fait très attention, ce n’était pas le moment de me faire écraser. Le petit bonhomme rouge au bout du passage piéton a mis une éternité à passer au vert. J’ai prévenu ma responsable à l’Udaf de Caen, où je travaille comme assistante sociale. Mes adorables collègues venaient de l’apprendre à la radio. Très rapidement, j’ai repris mes esprits. Mon éditeur a toujours cru à ce prix. Il est comme une seconde naissance après une première page au Rwanda plus noire que moi.

C’est incroyable, c’est comme si ma vie avait attendu ça. Étonnamment, depuis ce prix, je ne ressens plus la moindre fatigue. Les sollicitations ont vite afflué. Antoine Gallimard m’a prêté son bureau à plusieurs reprises pour des enregistrements d’émission. Au début, j’essuyais mes pieds soigneusement avant d’y entrer.

Cette reconnaissance est le juste retour de tous les espoirs que mes parents ont placés en moi. Grâce à cela, ils sont morts comme des êtres humains, et non pas comme des cafards. Car c’est ainsi que les voyaient leurs bourreaux au Rwanda. Et moi-même j’avais fini, à force de manipulation, à me voir comme cet insecte dans la glace.

« Le destin a fini de s’acharner »

Je ne lâcherai pas mon travail. Il fait partie de mes forces et a donné un sens à ma vie. J’ai tout de suite dédié ce prix à Caen, car cette ville m’a redonné une identité. J’y suis arrivée nue en 1992, deux ans avant le génocide. Au départ, je me retournais sans cesse, de peur que quelqu’un, caché derrière moi, veuille me couper la tête. Caen m’a réappris à vivre, à poser mes craintes. J’étais impressionnée par le magasin le Printemps et ses escaliers roulants. Impressionnée de voir aussi qu’en France, on pouvait être payée comme Marie-Jo Pérec, à courir (rires).

Chez moi, je courais régulièrement me réfugier au Burundi, où j’ai rencontré mon mari. Originaire de Bayeux, il travaillait pour la coopération. Je l’aidais à traduire des dialectes. À notre arrivée ici, on a d’abord habité une tour à Hérouville. Très vite, on a eu besoin d’air et on s’est installé à Saint-Aubin, face à la mer. Longtemps, j’ai eu peur que des crocodiles sortent de l’eau. Aujourd’hui, je suis apaisée. Le destin a fini de s’acharner contre moi. »

(1) : Le prix Renaudot 2012 lui a été attribué au bout de dix tours de scrutin. À la surprise générale, son livre Notre-Dame du Nil a été repêché après avoir été évincé de la liste des finalistes.

Recueilli par Raphaël FRESNAIS. Ouest-France