L’EXPRESS | Les 8 Plumes : Notre-Dame du Nil
le 9 mars 2013 | par Les 8 plumes
Scholastique Mukasonga, dans ce beau roman, raconte le Rwanda des années 70 à travers un collège pour jeunes filles huppées, où les écolières tutsis sont inscrites selon une stricte réglementation de quotas (seules deux élèves de terminales appartiennent à cette catégorie)
Les tensions interethniques au sein de ce bâtiment catholique retracent à leur échelle celles qui sont vécues dans le pays ; humiliations récurrentes des lycéennes tutsis, représentants religieux abusant de leur autorité, enseignants blancs coopérants refusant catégoriquement d’intervenir dans les conflits au nom de la non-ingérence …
Toute la finesse du roman tient dans ce cadre choisi par l’auteur : Dans ces histoires de jeunes adolescentes, il est difficile de discerner le politique de l’affect ; quand les jeunes Tutsis sont mises en quarantaine par leurs camarades qui refusent de prendre leurs repas à la même table qu’elles, on a plus l’impression d’un complot de petites pestes que de graves conflits politiques.
Quand une jeune fille appartenant aux deux ethnies soigne ses amitiés avec les unes et les autres, on se rappelle vaguement des cours de récréation où il fallait gagner les bonnes grâces des leaders des deux groupes dominants, et où les amitiés se faisaient et se défaisaient trois fois au cours de la même récréation.
Quand les jeunes écolières font des festins dans leurs dortoirs avec la complicité bienveillante de la religieuse chargée de leur surveillance, on se croirait presque dans un pensionnat anglais, le manioc en plus.
Quand une coquine doit arriver discrètement au collège car elle a passé un peu trop de temps avec son petit ami, on aurait presque envie d’avoir quinze ans à nouveau, tant elle respire la joie de vivre.
Quand une écolière Hutu à forte personnalité décide de briser le nez d’une statue de la Vierge, dont le visage est trop tutsi à son gré, et de le remplacer par un « beau nez hutu », on se demande s’il ne s’agit pas d’une bêtise de gamine.
Mais tous ces actes à première vue enfantins, ont des conséquences dramatiques, qui aboutissent au final à une véritable apocalypse, précurseur du génocide des années 90.
Un récit maîtrisé, lucide et élégant d’un conflit inmaîtrisable.
Caroline Béraud-Sudreau