Rencontre au Lycée Rotrou de Dreux
Vous pouvez consulter le compte-rendu de ma rencontre avec les élèves du lycée Rotrou de Dreux , le 22 mai dernier, rédigé par la documentaliste du CDI.
Visitez le site du CDI – LYCEE GENERAL ET TECHNOLOGIQUE ROTROU pour lire le compte-rendu et voir les photos de cette rencontre.
A la rencontre de Scholastique au Lycée Rotroux de Dreux
Vendredi 22 mai, les élèves de Première ES1 et de Terminale L1 ont eu l’honneur de rencontrer au CDI du lycée Rotrou Scholastique Mukasonga, écrivaine d’origine rwandaise de nombreuses fois primée.
Cette venue préparée en amont avec les professeurs de Français Madame Reullier et Monsieur Hérault, et les professeurs-documentalistes Madame Rivière et Monsieur Ménager, était un événement.
C’est d’une voix vive, chaleureuse et dynamique que Scholastique Mukasonga a salué les élèves rassemblés au CDI à l’occasion de sa venue. Après une brève présentation de son parcours et de ses œuvres, l’auteur répond aux questions longuement, aimant préciser les choses et apporter des anecdotes qui complètent ses commentaires. Sa vie au Rwanda d’avant le génocide, ses raisons (et son besoin) d’écrire, le Rwanda d’hier et d’aujourd’hui, son amour de la langue française, son « devoir de mémoire » et sa volonté de témoigner, son engagement auprès des orphelins rwandais … rien n’est écarté, tout est abordé par l’écrivain au fil des échanges. Scholastique cite souvent Elie Wiesel, Primo Levi ou encore Martin Gray dans ses propos. Des écrivains qui, comme elle, ont utilisé l’écriture pour survivre et témoigner. Les élèves, très attentifs, savent rebondir sur les réponses de l’écrivaine dont ils apprécient le naturel et la simplicité – et l’humour aussi ! Pourtant, les questions – et les réponses qu’elles amènent – ne sont pas faciles à aborder. Les élèves s’y sont préparés, par leurs lectures et leur documentation, mais affronter la parole directe de l’auteur est toujours très impressionnant et touchant.
Une « survivante » du génocide des Tutsi au Rwanda
Madame Mukasonga est, comme elle aime le préciser, « survivante » et non rescapée du génocide qui a décimé près d’un million de Tutsi au Rwanda au printemps 1994. A cette époque, elle se trouvait en effet en France depuis deux ans déjà et c’est à l’écoute de la radio ou en visionnant les images au journal télévisé qu’elle a suivi, comme de nombreuses personnes, les événements tragiques de son pays natal. « Génocide » : pour S. Mukasonga, c’était bien cela qu’il se passait là-bas, le gouvernement en place avait décidé de tuer les Tutsi jusqu’au dernier. Mais en mai 1994, on n’employait pas ce mot en France, il s’agissait juste de « conflits ethniques » ou de « guerre civile » comme il en existe souvent en Afrique… Il faudra attendre octobre 1994 et l’ouverture du tribunal d’Arusha (Tribunal pénal international pour le Rwanda) pour reconnaître le génocide des Tutsi et Hutu modérés.
En trois mois, 37 membres de la famille de Scholastique ont péri sous les coups de machette. D’autres sont morts noyés dans le fleuve, jetés dans le vide du haut d’un précipice ou bien massacrés en masse à coup de mitraillette dans des églises ou autres lieux de rassemblement, sacrés ou non… L’idée de la mort, les familles Tutsi vivaient avec depuis longtemps déjà, bien avant le génocide. « On savait qu’un jour on allait être tué », raconte-t-elle. On le leur répétait chaque jour. Mais imaginer les pratiques de cruauté inouïes qui ont ensuite déferlé sur eux, on ne pouvait l’imaginer et on ne peut le pardonner. Parce que ses parents l’ont voulu, Scholastique est toujours là, bien vivante. Alors l’auteur rassemble ses écrits, ses souvenirs d’avant le génocide qu’elle a dispersés sur ses cahiers d’écolière et sur de petits bouts de papier afin de raviver la mémoire des siens et celle de tous les Tutsi. Son devoir maintenant est de sauver leur mémoire.
Ecrire pour sauver la mémoire
Dans son premier livre autobiographique, Inyenzi ou les cafards, c’est à travers le regard de la petite-fille qu’elle était alors que Scholastique Mukasonga fait revivre le Rwanda d’avant le génocide, un monde fait de violence mais aussi de moments de bonheur. A travers ses souvenirs, l’écrivain redonne vie aux membres de sa famille et à la communauté avec laquelle elle a partagé ses jeunes années, jusqu’à sa fuite au Burundi en 1973 alors qu’elle était étudiante. Antoine Gallimard, qui a publié le premier ouvrage de l’écrivain, évoque le « Journal » d’Anne Frank à la lecture du manuscrit. Ecrire avant tout pour témoigner.
C’est également dans cet ouvrage que l’écrivain évoque son retour au Rwanda en 2004. A la question « Pourquoi avoir attendu dix ans ? » (les anciens exilés Tutsi ont pu rentrer au Rwanda dès juillet 1994), elle répond avoir attendu d’en avoir la force. A Gitagata où elle avait grandi et où on avait regroupé uniquement des réfugiés Tutsi, elle savait qu’il n’y avait aucun survivant. Il faudra attendre 2004 pour que Scholastique revienne sur les lieux de son enfance et rencontre la «réalité nue » : le village où vivait sa famille a été entièrement éradiqué et c’est aujourd’hui la brousse et les herbes folles qui ont tout envahi.
Hommage à sa mère
La femme aux pieds nus , son deuxième livre, est également autobiographique. Scholastique Mukasonga y rend hommage à sa mère, Stefania, et aux femmes rwandaises, ces « gardiennes de la vie » pour qui solidarité et entraide ne sont pas de vains mots.
Stefania, c’est cette mère qui ne s’est jamais avouée vaincue. Exilée dans la région insalubre du Bugesera, relogée dans la maison de Tripolo, ce logis des Blancs fait de tôles et d’angles droits, elle décide avec l’aide du frère de Scholastique, Antoine, de rebâtir son inzu, cette hutte de chaume et de bambou toute en rondeurs. Au cœur de sa maison, elle veille sur sa famille et sa première préoccupation est de protéger ses enfants. Toujours aux aguets, elle imagine toutes sortes de stratagèmes pour les cacher, que ce soit dans la maison ou dans la brousse. Tout comme sa mère, Scholastique Mukasonga a tenu à protéger les enfants au lendemain du génocide qui a fait de nombreux orphelins. Elle a ainsi créé une association d’aide aux orphelins du génocide rwandais qui veille à soutenir et aider les écoles de la région de Nyamata et qu’elle préside depuis octobre 1994.
La recherche de la réconciliation
Pour l’auteur, le Rwanda ne peut d’ailleurs se reconstruire qu’à travers la réconciliation et l’éducation des nouvelles générations. Les enfants ne doivent plus connaître cette opposition Hutu/Tutsi que les colonisateurs ont su si bien construire. Ils sont tous Rwandais. La réconciliation est plus qu’une nécessité, c’est une obligation au Rwanda. En effet, au lendemain du génocide, génocidaires et victimes n’ont eu d’autres choix que de vivre à nouveau ensemble. Scholastique Mukasonga rappelle que les bourreaux étaient des voisins, des amis, des proches. Le génocide terminé, beaucoup se sont retrouvés face à face.
De l’autobiographie à la nouvelle en passant par le roman
Avec L’Iguifou, l’auteur s’attaque à une autre forme de récit : la nouvelle. Scholastique nous explique que la nouvelle lui permet de revenir sur des passages qu’elle n’a pas pu développer dans ses romans. Cette forme d’écriture autorise l’écrivain à revenir sur certains événements ou épisodes de sa vie qu’à une période précédente elle n’aurait pu aborder, soit par un souci d’écriture soit par émotion. C’est donc dans l’Iguifou que Scholastique nous parle du « ventre vide », celui qui vous tenaille et vous emporte aux portes de la mort. C’est aussi dans Ce que murmurent les collines que l’auteur évoque son lieu de naissance, sur les rives de la rivière Rukarara, source présumée du Nil.
Notre-Dame du Nil, son quatrième ouvrage qui a remporté le prix Renaudot en 2012, est lui une fiction à laquelle elle a ajouté quelques passages volés à sa vie de lycéenne dans l’établissement Notre-Dame de Cîteaux, à Kigali. Mais l’auteur, avec ce livre, s’affirme avant tout en écrivaine et non plus en victime. Comme Scholastique nous l’explique, la fiction lui permet d’élargir ses propos. Ainsi, l’invention du personnage de Fontenaille symbolise tous les mythes et fantasmes que les colonisateurs allemands puis belges ont imaginé à propos de la supposée origine « hamitique » des Tutsis.
Enfin, concernant cette oeuvre, voici un scoop : « Notre-Dame du Nil » devrait être prochainement adaptée au cinéma.
« Porte-parole » de la langue française
Pour terminer sur cette rencontre très riche, la défense de la langue française reste quelque chose d’extrêmement important pour Scholastique Mukasonga. Alors qu’aujourd’hui le Rwanda est anglophone, elle rappelle que le Français a toujours existé au Rwanda et qu’il fait partie de son histoire. Dans les nombreux pays que l’auteur a pu visiter pour la promotion de son œuvre, elle a toujours trouvé une personne parlant Français (y compris à New York !).
C’est au bout de deux heures que cet échange s’achève. Scholastique, en toute simplicité, dédicace les livres des élèves, en faisant très attention à l’orthographe du prénom de chacun. Elle plaisante avec eux ; les élèves sont sous le charme. Une « photo souvenir » clôt enfin cette rencontre qui, à n’en pas douter, restera un souvenir très fort pour les élèves comme pour les enseignants.
Pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur Scholastique Mukasonga, vous pouvez consulter son site Internet : http://www.scholastiquemukasonga.net/. Elle est également sur Facebook et Tweeter, et possède un blog. C’est un écrivain très « connecté » !