Retour du Brésil
FESTIVAL LITTERAIRE INTERNATIONAL DE PARATY ET RENCONTRE AVEC LULA.
Je rentre d’un séjour littéraire au Brésil. J’étais invitée au Festival littéraire international de Paraty (FLIP) à l’occasion de la parution de la traduction de deux de mes livres: La Femme aux pieds nus et Notre-Dame du Nil.
C’est la plus importante manifestation littéraire organisée au Brésil. Paraty est une sorte de Pompéi colonial mais qui aurait été entièrement préservée grâce aux aléas de l’histoire. Les pavés y sont authentiques et chacun essaie de s’y maintenir en équilibre pour ne pas se tordre les chevilles: hauts talons interdits. Au bout de quelques jours titubants, on finit par s’y habituer et prendre goût à l’exercice.
J’ai participé à de nombreux salons littéraires mais l’accueil que j’ai reçu à Paraty reste parmi les exceptions. Le chapiteau ou l’église pleins à craquer et la foule jusque dans la rue. Plus de 800 personnes m’a-t-on affirmé. Signatures sans discontinuer de 21h. à 1h. du matin. J’ai usé je ne sais combien de stylos. Ma seule présence dans la rue provoquait une ferveur d’un enthousiasme que j’ai peur de nommer presque fétichiste et que je croyais réservé à un joueur de football ou à une rock star. On se bousculait pour me toucher. Moi qui ne peux rester en place, j’ai eu peur d’être figée en madone.
À Rio, à la favela Vidigal, j’ai été accueillie comme l’Afrique retrouvée et à Sao Paulo dans une grande librairie la foule était telle que j’ai failli rater l’avion.
Je n’ai toujours pas compris cet enthousiasme quasi mystique que déclenchait ma présence. Est-ce en raison du génocide des Tutsi que, disaient-ils, on leur avait caché; était-ce parce que j’étais noire et surtout africaine et que les Brésiliens ont besoin de renouer avec leurs racines outre-Atlantique? Je n’ai pas de réponse.
Je garderai un souvenir inoubliable de mon intervention à la favela Vigidal à Rio. Il n’a pas été facile de trouver un taxi pour nous mener là-haut, chez les plus pauvres, pour ne pas dire chez les pestiférés. L’accès y est très difficile, les routes ne sont que des sentiers à pic. Et les gens là-haut sont considérés comme »dangereux ». L’Institut français y multiplie les activités culturelles. Les rencontres ont lieu dans des locaux de l’école de théâtre. Patrick Chamoiseau m’y avait précédé.
J’ai été saisie d’une intense émotion. Pour moi, un quartier aussi pauvre, cela ne pouvait exister qu’en Afrique! Pourtant, je m’y suis sentie à l’aise malgré toute mon émotion et la surprise de ma trouver en un tel lieu. Les questions ont surtout porté sur l’identité noire qui colle à la peau. Mon pays, le Rwanda, est l’un des rares à avoir échappé à l’esclavage. Mais je n’ignore pas la souffrance d’être en mal d’identité. À la fin, j’ai réalisé qu’il n’a jamais été question de littérature mais que ce fut un moment privilégié qui permettait l’expression de l’échange en toute confiance.
À Sao Paulo, mêle foule dans la grande librairie de Sao Paulo, Saraiava. J’ai failli rater mon avion. Ceux qui se pressaient pour une dédicace essayaient de réunir le peu de mots de français qu’ils connaissaient pour communiquer avec moi.
L’une d’elle qui s’exprimait bien en français me demande:
– Qu’est-ce que pour vous la langue française?
Je ne m’attendais pas à cette question à Sao Paulo. J’y ai répondupar une autre question: Pourquoi?
Mais elle tenait à avoir ma réponse. Elle fut simple:
– Le français est autant ma langue, mon identité comme l’est le kinyarwanda, ma langue maternelle. Elle m’habite et nous vivons toutes les deux en parfaite harmonie. Pour l’écriture bien sûr, j’écris en français mais mon kinyarwanda originel n’est pas loin, les deux langues cohabitent aisément et s’enrichissent mutuellement. D’ailleurs tous mes livres sont parsemés de mots en kinyarwanda.
A Mulher do pés descalzos a été classé deuxième des meilleures ventes de livres au Festival de Paraty et Nossa senhora del Nilo Cinquième. A Mulher do pés descalzos a intégré la liste des meilleures ventes de livre au Brésil selon le magazine Veja. La FNAC du Brésil a sélectionné mes deux ouvrages parmi les six livres à ne pas manquer.
RENCONTRE AVEC LULA
Le président Lula, à l’étonnement général et surtout au mien, a tenu à me rencontrer dans son Institut à Sao Paulo. L’entrevue, en compagnie de M. Brieuc Pont, le consul de France, a été chaleureuse. Il a été beaucoup question de l’Afrique. L’ex président a cherché à coopérer avec de nombreux états africains et a retracé, carte à l’appui son périple à travers le continent noir, même si, dit-il, cela m’a valu de nombreuses critiques. Le Brésil, dit-il, doit renouer avec l’Afrique: « L’Atlantique n’est qu’un ruisseau qui sépare le Brésil de l’Afrique. » Ma venue à Bahia a été envisagée.
Le président Lula s’est montré très convivial. Dès son arrivée, il s’est jeté sur moi pour m’embrasser, ce qui a fini par des étreintes à la rwandaise. Sa spontanéité m’a épargné les formules de politesse souvent maladroites.
Sa simplicité confirmait ce que j’avais entendu dire de lui:
– Il a souffert, il vient de très bas. Il s’est battu pour s’en sortir, pour se faire entendre et parler au nom de ceux qui n’ont rien, il en a même perdu son doigt.
Elevé par sa mère qui lui disait chaque jour: « Tu peux faire plus. » C’est peut-être parce qu’il a écouté sa mère qu’il est devenu président.
C’est peut-être pour cela qu’il a tenu à me rencontrer. La Femme aux pieds nus avait fait beaucoup de bruit à Paraty. Ainsi sur la route entre Paraty et Rio, à une station en pleine brousse, alors que je me comportais en parfaite inconnue et que je commandais un copieux sandwich, j’entendis: « Scholastique, une dédicace, s’il vous plaît! ».
Gaétan Sebudandi
Merci infiniment pour ce compte rendu de votre séjour littéraire au Brésil. La rencontre avec Lula rapelle les souvenirs d’une sorte d’exil intérieur dans son propre pays natal. J’espère qu’elle pourrait déboucher sur une nouvelle visite au Brésil, notamment à Salvador de Bahia. Bravo, bravissimo !