Culturebox : « Cœur tambour », Scholastique Mukasonga fait retentir l’âme africaine
Lisez la critique de Culturebox par Laurence Houot sur mon dernier roman « Cœur tambour » paru dans la collection Blanche de Gallimard.
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La romancière rwandaise Scholastique Mukasonga publie un roman qui plonge aux sources de l’Afrique. « Cœur tambour » (Gallimard) nous embarque dans un voyage qui passe par l’Afrique, les Caraïbes, l’Ethiopie, New York et suit son cours jaillissant au rythme des tambours percutés par des rastas, et du chant incantatoire de la reine Kitami, une sorcière venue des profondeurs de la tradition rwandaise.
L’histoire : l’histoire commence avec la fin tragique et mystérieuse d’une chanteuse africaine. Kitami, que l’on appelle aussi l’amazone noire, est morte écrasée sous le poids de « Ruguina », un tambour sacré qui l’accompagne dans ses tournées. C’est un journaliste qui raconte. Il a reçu après la mort de la chanteuse un carton qui contient une petite valise. Dedans, un petit fer de lance et « un cahier à couverture bleue cartonnée », qui contient le récit à la première personne de l’enfance de la reine Kitami (Prisca, de son vrai prénom). Il décide de le publier, persuadé qu’il intéressera autant les historiens, ethnologues, psychiatres que les nombreux admirateurs de la chanteuse.
L’esprit de Nyabinghi ne meurt jamais
Prisca est une petite fille « solitaire et rêveuse ». Elle poursuit une brillante scolarité sous la protection bienveillante d’un père de la mission catholique voisine et aime vagabonder dans le marais. C’est là, que dans la brume, la jeune fille aperçoit un jour une silhouette. C’est Nyabinghi (« Mort aux Blancs »), un esprit ancestral très puissant, dont on ne veut plus parler sur cette terre colonisée et christianisée par les Blancs. Mais Nyabinghi ne meurt jamais. Plus tard, le chant de Prisca dans la chorale du père Martin prend des allures de transe, puis la jeune fille soigne son père mourant après une nuit passée dans les marais et les femmes du village viennent la voir pour favoriser leur fertilité.
Plus tard, elle fait partie des 10% de Tutsis autorisés par les Hutus à poursuivre leur scolarité au lycée. Quand vient le moment d’entrer à l’université, on lui signifie que « la République n’a pas besoin de Tutsis femmes savantes » et qu’elle aura le privilège d’épouser un dignitaire hutu. La jeune fille, acculée, profite donc du passage près de chez elle d’un groupe de tambourinaires rastas venu de New York pour s’enfuir, après avoir récupéré le tambour sacré « Ruguina ». Elle prend le nom de Kitami et entame sa vie de chanteuse rasta au rythme des tambours jamaïcains, guadeloupéens et rwandais.
Un conte envoûtant pour pénétrer l’âme africaine
Survivante du génocide, Scholastique Mukasonga avait jusqu’ici écrit pour conserver la mémoire de sa famille disparue lors du génocide. Cette fois elle remonte plus loin dans le temps, et c’est dans le passé de son pays qu’elle plonge, un passé écrasé par la colonisation, la christianisation. Et c’est le tambour qui fait sonner ce cœur. Interdits au Rwanda, les tambours font battre le cœur de l’Afrique dans les Caraïbes, en Guadeloupe, à la Jamaïque (les tambours y ont été baptisés « Nyabinghi ») ou aux Etats-Unis. Le tambour, symbole de puissance de résistance et d’insoumission, relie les exilés à leur terre.
A travers cette histoire, racontée comme un conte, la romancière nous fait pénétrer au cœur de l’âme africaine, ses racines, ses errances et sa persistance dans l’espace et dans le temps, malgré les exils, l’esclavage, la colonisation. Elle est toujours là, de Kigali à Kingston, de New York à la Guadeloupe, prête à jaillir quand les tambourinaires percutent les « Kas » ou les « Nyabinghis », et quand la voix de Kitami envoûte les foules…
La plume de Scholastique Mukasonga, lyrique et puissante, dirige de main de maître cette mélopée, et donne à son roman un souffle qui nous emporte.