LA LIBERTE – Magalie Goumaz – 1 avril 2006

quotidien romand édité à Fribourg

samedi 1 avril 2006, Magazine

 

Naître enfant cafard et survivre

Une Rwandaise raconte son enfance juste avant le génocide.

Magalie Goumaz

Rwanda 1994. A ce sujet, on a vu défiler les pavés de Pierre Péan et du général Dallaire, le témoignage du soldat Ruzibiza, les analyses des professeurs André Guichaoua et de Filip Reyntjens, etc. Tous tentent de comprendre qui a fait quoi. Malgré tout, le génocide rwandais n’a pas encore livré tous ses secrets. Deux procédures judiciaires sont en cours qui visent d’un côté la responsabilité des soldats français présents lors du génocide, de l’autre l’actuel président rwandais. Sans oublier le travail du Tribunal pénal international qui juge les dirigeants de l’époque.

Au milieu de la tornade, un petit livre brun et beige arrive sans grand tapage. C’est celui de Scholastique Mukasonga dont on a envie de dire quelle est comme une primevère surgie de l’hiver, simple et fragile. Dans Inyenzi ou les Cafards, elle raconte son enfance rwandaise dans les années 70. Tutsi, elle a connu la peur et l’injustice, la fuite et l’illusion d’une vie normale. Tout ça pour dire que le drame était latent. Que tous retenaient leur souffle depuis longtemps.
Jeune fille, Mukasonga allait en classe, aidait sa mère et se cachait avant la tombée de la nuit. Par chance, elle a pu intégrer une école d’assistante sociale et apprendre, sous l’autorité française, à faire monter une mayonnaise et macérer une choucroute. Des études qu’elle a dû interrompre pour fuir au Burundi. Une fois, elle a pu retourner voir les siens. En 1994, ils étaient morts. Il n’y a pas de haine dans le récit de Mukasonga, qui a perdu trente-sept membres de sa famille. Elle-même était en France l’année du génocide et n’a refait le voyage que dix ans et bien des cauchemars plus tard. Parce qu’il faut continuer à vivre et arrêter de «sous-vivre». I

> Scholastique Mukasonga,Inyenzi ou les Cafards, Collection Continents noirs, Ed. Gallimard, 164 pp.