Libération: « Bananes de souche » par Scholastique Mukasonga

Libération:

Libération publie dans ces pages Rebonds mon billet d’humour indigné.

Rebonds | page 24 – Libération n°1112 – MARDI 12 NOVEMBRE 2013

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Il y a quelques jours, j’étais au Rwanda, à Kigali. Quand je suis de retour dans mon pays natal, je suis toujours à la recherche de bananes, pas n’importe quelles bananes, celles qui firent les délices de mon enfance, les ingurube, les isukari, les isukari surtout, ces petites bananes toutes sucrées, auxquelles nous avions rarement droit car maman les réservait pour les vendre au marché.

Ce sont mes petites madeleines, elles ont le goût de l’enfance.

Hélas, sur les marchés de Kigali à présent, ces variétés ont disparu avec le génocide, comme celles qui savaient encore les cultiver. Les bananes de Kigali ont pour moi perdu leur saveur, homogénéisées par les méthodes modernes de la FAO ou autre ONG.

Heureusement, de retour en France, j’ai rapidement appris la bonne nouvelle : on y cultive une nouvelle variété de bananes, la banane de souche. On apprend aux petits Français vraiment de souche et bon chrétiens à les déguster. Il la cueille sans doute sur le sapin de Noël qui ombrage la crèche.

«Cueillez la banane, mes enfants, dit le bon papa de souche, mais ne la mangez pas tout de suite, vous allez voir comme c’est amusant : c’est pour la guenon.»

Les papas de souche ont distribué les drapeaux, les bannières et les bananes à leurs enfants de souche. Ils vont bien s’amuser les braves petits-enfants-vrais-français-de-souche. La banane de souche, c’est pour la guenon. Attendez, elle arrive. La voilà, la guenon, elle est vraiment noire, comment peut-on être aussi noire ! Allez, mes enfants de souche, la banane de souche, c’est pour la guenon, la guenon ministre. Allez, criez, mes enfants : «Mange ta banane, la guenon !» Ce n’est pas n’importe quelle guenon, c’est la guenon-ministre. Ah ! Pauvres enfants de souche, dans quel monde allez-vous vivre, vous aurez bientôt un président guenon et, j’en ai bien peur, un pape guenon.

Criez tous en chœur : «Mange ta banane, la guenon !» c’est votre bonne action d’aujourd’hui, vous la noterez sur votre carnet de BA. Et n’oubliez pas, braves petits-enfants-vrais-français-de-souche, quand vous rencontrerez d’autres guenons, et il y a beaucoup trop de guenons en France, n’oubliez pas votre banane de souche et criez-leur : «Mange ta banane, la guenon !»

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