Le Temps: Scholastique Mukasonga et le murmure doux des collines
Scholastique Mukasonga

Agence Opale

Livres | samedi 12 avril 2014.

La romancière a perdu presque toute sa famille en 1994. Son recueil de nouvelles évoque le bonheur de l’enfance

Presque toute la famille de Scholastique Mukasonga a disparu dans les massacres de Nyamata, en 1994. C’est pour leur dresser «un tombeau de papier» qu’elle est devenue écrivain. Notre-Dame du Nil (Prix Kourouma et Renaudot en 2012) montre comment, dans les années 1970, la haine entre ethnies est déjà suscitée et entretenue dans un pensionnat pour jeunes filles de bonne famille.

Le recueil de nouvelles Ce que murmurent les collines est plus doux, on y entend le bonheur de l’enfance, la beauté du paysage, les légendes que lui transmettait sa mère. Pourtant, derrière chacune de ces nouvelles, résonne le bourdon d’une menace. «La rivière Rurakara» donne la force, sa boue guérit la petite fille blessée à la tête. Mais c’est aussi une des sources possibles du Nil: «Le plus grand malheur qui soit arrivé aux Rwandais», c’est que les explorateurs aient pris les Tutsis pour «une race quasi primordiale», descendant des pharaons, de la reine de Saba, des tribus d’Israël, des chrétiens coptes… et que les colonisateurs aient accordé à ces éleveurs longilignes, à la peau claire, des privilèges qui leur ont été retirés par la suite, engendrant des haines qui ont éclaté à plusieurs reprises jusqu’à l’explosion de 1994.

«La Vache du roi Musinga» témoigne de l’amour des Tutsis pour leur bétail, et les rapports compliqués entre les potentats locaux et les colonisateurs belges. «Le Bois de la croix» montre la méfiance envers les pratiques des missionnaires: sous la robe blanche de communiante, une mère accumule les talismans; elle enjoint à sa fille de garder ouvert le rideau quand elle s’agenouille pour la confession dans la «boîte à péché»; et quand la jeune femme part à l’étranger, elle la protège avec un morceau de bois repris de la croix taillée dans l’arbre ancestral. «Le malheur»: Anonciata est ostracisée; on la tient pour responsable des catastrophes qui s’abattent sur la colline, elle dont tous les enfants meurent au berceau. D’où lui vient la malédiction? L’école des Blancs, avec sa «Novation», l’aura pervertie, il ne faut pas scolariser les filles; le diable des chrétiens s’est emparé d’elle, il faut l’exorciser; un prétendant éconduit se venge; son père lui a donné un nom terrible. Que faire d’elle? Un jour, Anonciata s’en va sans rien dire. On apprend, bien plus tard, qu’elle est au Burundi, heureuse mère de cinq enfants. Mais le malheur, lui, s’acharne toujours sur la colline.

«Un Pygmée à l’école»: aucun enfant ne veut s’asseoir à côté de Cyprien le Mutwa. Il a fallu l’autorité du missionnaire allemand pour le faire admettre à l’école. Les petites filles ne lui parlent qu’en secret, craignant les moqueries. On est à Nyamata où les Tutsis sont en exil intérieur, mais un Mutwa dans la même classe que ses propres enfants, ce n’est pas possible, même s’il est un excellent élève: chacun son bouc émissaire. La chute de l’histoire est belle, drôle et espérons-le, véridique. Nourries de souvenirs, ces nouvelles sont révélatrices de la société rwandaise, des peurs et de la méfiance enracinées dans son histoire.

I. R.