l’Humanité – Jean Chatain – 23 mai 2006

Article paru dans l’édition du 23 mai 2006

 

Rwanda : du pogrom au génocide

Toute une génération tutsie a, de la période coloniale aux massacres organisés, subi durant quarante ans la déportation et l’apartheid.

Inyenzi ou les cafards,

de Scholastique Mukazonga.

Éditions Gallimard, 2006, 168 pages, 12,90 euros.

Rwanda : face à face

avec un génocide,

de Didier Patry. Éditions Flammarion, 2006, 300 pages, 20 euros.

À en croire certains commentateurs – soucieux avant tout d’innocenter les pouvoirs politiques français successifs des accusations sur leurs relations avec le régime raciste et clanique en place au Rwanda de 1962 à 1994 -, le génocide d’avril-juin 1994 aurait éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Une folie de sang « spontanée », en réaction à l’assassinat du président Habyarimana.    L’autobiographie de Scholastique Mukasonga dément ce discours trop simpliste pour être honnête. L’histoire contée est celle de toute une génération tutsie, ballottée de pogrom en pogrom, de 1959 (sous la colonisation belge) jusqu’au massacre organisé au plus haut niveau de l’État quarante-cinq ans plus tard. Une descente aux enfers dont les étapes s’appellent Gikongoro (ville de la naissance), Butare (premières milices « ethnistes », mises en place avec la bénédiction du pouvoir colonial et de l’Église missionnaire, première expérience du crime raciste et de l’apartheid comme moyens de domination sociale), le Bugesera, zone insalubre (la seule dont la population est menacée par la maladie du sommeil) où furent déportées des centaines de familles tutsies rescapées des persécutions perpétrées dans leurs régions d’origine. Scholastique y vit jusqu’en 1973, jusqu’à ce que ses parents l’expédient avec l’un de ses frères vers le Burundi. Elle reviendra au Bugesera une première fois clandestinement, puis, en mai 1986, avec son époux français et leurs deux enfants. Un soir, sa mère lui demande de partir plus tôt que prévu, évoquant le fait que les enfants « ne sont pas habitués à notre nourriture ». Ce qu’elle traduit aussitôt : « Peut-être mes enfants et moi-même étions-nous en danger, mais, surtout, notre présence était une menace pour toute la famille. » Le dernier chapitre correspond à un autre retour, après le génocide de 1994, et prend l’aspect d’une litanie, celle des proches, voisins et amis disparus. « Dans le cahier d’écolier qui ne me quitte plus, je consigne leurs noms, et je n’ai pour les miens et tous ceux qui sont tombés à Nyamata que ce tombeau de papier »…

Le second ouvrage est d’une facture fort différente. Me Didier Patry, membre du Barreau pénal international et, il tient à le souligner, colonel de réserve dans l’armée française, a participé à la défense de génocidaires présumés au Rwanda et devant le TPI d’Arusha (Tanzanie). Le style souvent mondain de ses souvenirs peut parfois insupporter, il n’atténue en rien l’impact de certains témoignages qu’il rapporte. Tel celui de ce milicien ayant participé au carnage de Murambi, à la périphérie de Gikongoro. Lorsque les militaires français de « Turquoise » y sont arrivés pour bâtir la zone humanitaire sûre (ZHS), les massacres se sont poursuivis sous leurs yeux, confirme-t-il. Pismt, « il suffisait de (leur) dire que tel ou tel était inkotanyi (combattant FPR – NDLR). C’est pour cela qu’il y a quelques gens qui en ont profité pour éliminer leurs antagonistes. Le cas le plus connu est celui de S… Il a été livré par son frère. Les Français lui ont promptement administré la mort par la fusillade ».

Jean Chatain