l’Humanité – Muriel Steinmetz – 11 février 2010

Cultures – Article paru
le 11 février 2010 par Muriel Steinmetz

Des nouvelles du Rwanda 
avant et après l’épouvante

Dans l’Iguifou, son troisième roman sorti le 5 janvier, la romancière Scholastique Mukasonga (quarante-
cinq ans) évoque sur un mode feutré et poétique l’âme bouleversée de son pays.

L’iguifou, nouvelles rwandaises, de Scholastique Mukasonga, Gallimard/Continents noirs, 
120 pages, 13,50 euros.

Scholastique Mukasonga est née au Rwanda. Aujourd’hui, elle vit et travaille en Basse-Normandie. L’Iguifou signifie la faim en kinyarwanda, sa langue natale. C’est aussi le titre qu’elle donne à l’une des cinq nouvelles qui composent ce mince recueil.

Scholastique Mukasonga met en scène, entre autres, tantôt (dans l’Iguifou) la petite fille affamée d’une famille de déplacés tutsis de Nyamata qui frôle la mort, tantôt (dans la Gloire de la vache) un jeune berger, aux temps de l’abondance quand les marais ne servaient qu’à faire paître les vaches au lieu de servir de refuge aux victimes du génocide. La vache en ces temps-là faisait l’objet de soins jaloux, presque religieux  : «  Dans l’avant-cour, un peu à l’écart, écrit Scholastique Mukasonga, on allumait un grand feu d’herbes mouillées… C’était le moment de débarrasser les vaches des tiques et des puces, autour des oreilles, autour des yeux, de soulever la queue pour traquer tous les parasites, d’inspecter les sabots pour s’assurer que ne s’y logeait aucun caillou, qu’aucune épine ne s’y était enfoncée.  » On suit les bêtes à cornes à «  la démarche de danseuse, aux gros yeux rêveurs  », de la traite du matin à celle du soir.

Un autre court récit, le Malheur d’être belle, a trait à une jeune Tutsi qui est trop belle en ces temps d’infamie. Son destin, tragique, nous est restitué par le menu. Avec le Deuil, qui se situe dans l’après-génocide, la preuve est faite que le deuil, justement, en est impossible. Ainsi chaque texte apporte toujours, avec le précédent des dissonances voulues. La nouvelle, forme brève par excellence, impensable sans l’art de la chute, se prête à ravir à cet univers capté par l’intelligence sensible de l’artiste qui ausculte la mémoire de son pays. Peut-il en être autrement, après une telle catastrophe dans l’ordre de l’humain  ? Parlant du Rwanda, Scholastique Mukasonga tourne autour de l’indicible d’une plume presque sereine, trempée dans la poésie en toute simplicité et parfois non dénuée d’humour.

La romancière n’hésite pas à semer sa prose de termes venus du kinyarwanda afin, sans doute, de réchauffer sa langue originelle, d’en laisser trace écrite dans le texte français pour lui permettre par endroits de prendre ses aises librement. Ces nouvelles courent sur plusieurs époques dans le souci manifeste d’accumuler choses vues et témoignages mis en bouquet dans l’écriture par quelqu’un qui semble posséder des antennes pour capter le moindre frémissement du monde. Scholastique Mukasonga a déjà publié chez le même éditeur, dans la même collection Inyenzi ou les cafards et la Femme aux pieds nus. Ce dernier titre a été couronné en 2008 par le prix Seligmann «  contre le racisme, l’injustice et l’intolérance  ».

 

 

M.S